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Décryptage des décisions DCC 07-173 et DCC 07-176 de la Cour Constitutionnelle du Bénin

 

 La Cour Constitutionnelle du Bénin dirigée par Me Robert Dossou a rendu une décision sur la crise qui secoue le Parlement béninois. une décision contesté par une certaine classe politique et beaucoup de députés à l'Assemblée nationale. de nombreux analystes politiques ont également jeté un regard critique sur cette décision. c'est le cas du consultant en développement Richard A. F. DEGBEKO dans cette réfexion. lizez.

                                                       

Décryptage des décisions DCC 07-173 et DCC 07-176  de la Cour Constitutionnelle,
Une Analyse politique et juridique
 
Récemment, la Cour Constitutionnelle a rendu, dans le cadre de la régulation du fonctionnement des institutions étatiques nationales, de l'activité des pouvoirs publics et de la conformité de certains actes autant du Parlement que du Gouvernement avec la Constitution, plusieurs décisions. De toutes ces décisions, celles qui ont mérité plus la curiosité des populations, sont, entre autres, celles relatives à la crise sur la désignation des membres de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) et de ses démembrements.
Cette affaire qui tient autant du Législatif que de l'Exécutif a été soumise au jugement de la Cour Constitutionnelle et a suscité du fait de sa gestion, beaucoup de questionnements.
Ces questionnements imposent l'analyse de certains articles desdites décisions au regard du droit, des textes réglementaires et des lois y afférents, de la Constitution du 11 décembre 1990 et des contours de la politique nationale.
 
De quoi s'agit-il ? Et qu'a-t-on demandé à la Cour ?
 
Sans avoir la prétention de vouloir apprécier les décisions de la Haute juridiction, il est juste nécessaire, afin d'obtenir au besoin plus d'éclairage pour confirmer ou infirmer les appréhensions populaires, d'exposer les craintes et préoccupations alimentées par la gestion de cette affaire. Une gestion qui a fait suite à trois saisines de la Cour Constitutionnelle par rapport à la désignation par l'Assemblée Nationale de ses représentants à la CENA, et leur installation.
De ces saisines, seulement deux nous intéressent. Il s'agit de la requête de Monsieur Ismaël TIDJANI-SERPOS enregistrée à la Cour le 26 décembre 2007 sous le N° 2749/208/REC demandant à la Haute juridiction de « déclarer contraire à la Constitution le recours à des critères différents pour répartir les sièges selon qu'il s'agit de la CENA ou de ses démembrements » ; et celle des messieurs Karimou CHABI-SIKA, Sylvain ZOHOUN et Djibril MAMA DEBOUROU enregistrée à la Cour le 27 décembre 2007 sous le N° 2753/209/REC par laquelle les requérants forment un recours pour blocage du processus électoral et demandent à la Cour de constater qu'il y a violation de l'article 35 de la Constitution, et d'inviter, sur le fondement de l'article 114 de la Constitution, les députés des groupes parlementaires " ADD-Paix et Progrès", "ADD-Nation et Développement" et "PRD-PRS" à se conformer aux lois de la République .
 
 
Qu'a dit la Cour Constitutionnelle à propos ?
 
Par rapport à ces saisines, la Cour Constitutionnelle a pris deux décisions importantes. Il s'agit des décisions DCC 07-173 et DCC 07-176 qui semblent avoir le même fond.
En effet, à l'article 1er desdites décisions, il est décidé par la Haute juridiction qu'elle « ... est incompétente pour connaître du contentieux des élections locales à quelque étape que ce soit » ; décision qui n'est susceptible d'aucun recours. Selon la Cour Constitutionnelle, elle trouve son fondement, d'une part, dans l'article 131 alinea 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui stipule que la Cour Suprême « ... est ... compétente en ce qui concerne le contentieux des élections locales » et d'autre part, dans les articles 116 et 122 de la loi n°2007-25 du 23 novembre 2007 portant règles générales pour les élections en République du Bénin qui édictent : « Conformément aux dispositions de l'article 124 alinea 2 de la Constitution du 11 décembre 1990, la Cour suprême est compétente en ce qui concerne les contentieux des élections locales », et que « Tout le contentieux électoral en ce qui concerne les élections locales relève de la compétence de la Cour Suprême ». Un tel dispositif suscite certaines interrogations.
 
Qu'est-ce qui a été précisément demandé à la Cour Constitutionnelle dans les deux recours objets desdites décisions ?
 
Se référant à l'objet des deux saisines, il a été demandé à la Cour Constitutionnelle de « déclarer contraire à la Constitution le recours à des critères différents pour répartir les sièges selon qu'il s'agit de la CENA ou de ses démembrements » pour l'une, et de constater qu'il y a violation de l'article 35 de la Constitution, et d'inviter, sur le fondement de l'article 114 de la Constitution, les députés des groupes parlementaires " ADD-Paix et Progrès", "ADD-Nation et Développement" et "PRD-PRS" à se conformer aux lois de la République pour l'autre.
 
Sur quoi la Cour Constitutionnelle a-t-elle fondé sa décision ?
 
Relativement à la vérification de la conformité à la Constitution des procédures adoptées par l'Assemblée Nationale pour la désignation de ses représentants à la CENA, la Cour dans ses justifications s'est prévalue des articles 131 alinea 2 de la Constitution du 11 décembre 1990, 116 et 122 de la loi portant règles générales pour les élections en République du Bénin pour rappeler au requérant que c'est la Cour Suprême qui est compétente en ce qui concerne les élections locales, et que tout le contentieux électoral en ce qui concerne ces élections relève de sa compétence. Remarquons que la Cour Constitutionnelle  a alors considéré le cas soumis à son appréciation comme un « contentieux électoral ».
 
 Mais le contentieux dont il est question ici est-il véritablement électoral ? Ne s'agit-il pas plus d'un contentieux relatif à l'intervention d'une institution de l'Etat dans la mise en place de l'organe chargé de gérer administrativement et techniquement les élections locales ?
 
Toutes analyses faites sur ces recours nous révèle qu'il s'agit, par rapport à cette affaire, d'un appel à la régulation du fonctionnement de l'Assemblée Nationale dans le cadre de la désignation des membres de la CENA. Sinon, en admettant la logique de la Cour Constitutionnelle qui parle déjà de contentieux électoral en ce moment, y aurait-il eu, à cette date, élection pour qu'on parle d'un contentieux qui en découlerait ?
En tout état de cause, puisqu'il n'est question ici que de la régulation du fonctionnement des institutions et de l'activité des pouvoirs publics, comme définit par l'article 114 de la loi fondamentale, dans un contexte pre-électoral, faut-il le rappeler ; et que les réserves contenues dans l'alinea 2 de l'article 35 de la loi n°2007-25 portant règles générales pour les élections en République du Bénin, dans les articles 49, 81 alinéa2 et 117, 1er et 2ème tirets, de la Constitution du 11 décembre 1990, et dans les articles 42, 52 et 54 de la loi n°91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour Constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001, ne sont valables que pour la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême ne devrait en conséquence pas pouvoir avoir matière à débattre sur de tels recours.   
Au regard de tout ceci, qu'est-ce qui a motivé une telle décision de la part de la Cour Constitutionnelle ? La définition du mot « élection » pourrait dans la suite, permettre de mieux comprendre.
 
Les élections, qu'elles soient locales, législatives ou présidentielles, commencent-elles déjà à l'Assemblée Nationale, à la Société Civile et au Gouvernement par la désignation des membres chargés de les organiser? Cette question nécessite au préalable la précision du contenu du concept d'«élections».
Qu'entend-t-on donc par "élections" ?
 
Le dictionnaire illustré Larousse 2008 définit les élections au sens politique du terme comme « le choix qu'on exprime par l'intermédiaire d'un vote ». Selon le dictionnaire des sciences économiques, politiques et sociales du Professeur René Revol et consort, édition Hachette éducation, 2002, on entend par élections, la « désignation par les électeurs de leur(s) représentant(s) ou de leur(s) délégué(s), généralement par le bulletin de vote ». Le lexique des termes juridiques, édition Dalloz 13ème, 2001, quant à lui définit les élections comme le « choix par les citoyens de certains d'entre eux pour la conduite des affaires publiques ».
Il résulte de ces définitions que les élections quelles qu'elles soient, s'entendent uniquement par la désignation ou  le choix par les électeurs de leur(s) représentant(s) lors d'un vote. Elles  ne débutent donc que lorsque l'organe chargé de leur gestion lance le processus.
Or, au regard de l'alinéa 1er de l'article 35 de la loi n°2007-25 ci-dessus cité, l'organe chargé d'en assurer la gestion est la CENA. Cela suppose que la CENA est installée avant le démarrage du processus des élections et que son installation ne saurait être considérée comme une étape des élections qu'elle est prédestinée à gérer. Il ne parait donc pas juste de considérer le processus d'installation de l'organe qui sera chargé de gérer lesdites élections comme partie intégrante des élections. D'ailleurs, nulle part dans la Constitution du 11 décembre 1990, ni dans les lois électorales, ne semblent exister des dispositions qui, dans leur traduction ou dans leur esprit pouvaient laisser transparaître cette conception lato sensu. Autrement dit, la terminologie « élection » ne prend nullement en compte la désignation et l'installation des membres de la CENA et de ses démembrements, organes ayant en charge l'organisation et la gestion des opérations électorales, rappelons-le.
 
La Cour Suprême est-elle juridiquement indiquée pour statuer sur les contentieux liés au processus de la désignation par l'Assemblée Nationale et des autres institutions de la République des membres de la CENA, de ses démembrements ainsi que leurs installations ?
 
Au vue de tout ce qui précède, il me semble que la Cour Suprême ne saurait légalement statuer sur des questions politiques liées à la désignation et à l'installation des membres de la CENA. Par contre elle est compétente en ce qui concerne le contentieux des élections locales conformément aux dispositions de l'article 124 alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre repris dans l'article 116 de la loi n°2007-25 portant règles générales pour les élections en République du Bénin. Cette compétence ne concerne que le contentieux relatif à tout le processus lié à l'opération de vote, à commencer par l'établissement des listes électorales jusqu'à la proclamation définitive des résultats.
 
Qu'entend-t-on par contentieux électoral dans le cas des élections locales selon la loi ?
 
La loi n° 98-006 du 09 mars 2000 portant régime électoral communal et municipal en République du Bénin défini le contentieux électoral en son titre VIII. En parcourant les articles 105, 106, 107, 108 et 109 qui composent ce titre, on constate aisément que les contentieux dont il s'agit ne sont aucunement liés à la désignation et à l'installation des membres de la CENA et de ses démembrements.
Ces contentieux ne sont relatifs qu'aux candidatures ou listes de candidatures, qu'aux opérations de vote le jour de l'élection ainsi que de leurs résultats et à l'établissement des listes électorales.
Il est donc incompréhensible de considérer le contentieux né de la désignation et de l'installation des membres de la CENA comme un contentieux des élections locales. Relevons que les articles 116, 117, 118 et 119 de la loi n°2007-25 portant règles générales pour les élections en République du Bénin sont liés entre eux. Parlant de la requête dont la Cour Suprême est saisie, l'article 118 par exemple dispose que « la requête n'a pas d'effet suspensif ». L'effet suspensif ici ne concerne pas du tout le processus d'installation de la CENA, mais plutôt le processus électoral qui débute après l'installation des membres de la CENA.
 
Le  Secrétariat Administratif Permanent de la CENA (SAP/CENA) dont la procédure de désignation avait été concomitamment engagée, n'aura-t-il pas à participer à la gestion des élections législatives et présidentielles de 2011 ? Donc rendre la Cour Constitutionnelle plus que compétente et par la même occasion induire sa compétence exclusive dans cette affaire ?
 
Il est à constater que le processus de désignation des membres de la CENA 2008 a été concomitamment engagé avec la désignation des membres du SAP/CENA qui ont un mandat de cinq ans et donc vont participer à la gestion des élections législatives et présidentielles de 2011. Cette situation confirme l'assertion selon laquelle le processus électoral, juridiquement parlant, ne commence qu'après l'installation de la CENA. A moins que les membres de nos différentes hautes juridictions ne s'appuient sur les considérations populaires et vulgaires ou sur d'autres considérations dont seuls ils ont le secret. Toutes choses dangereuses pour le Droit et la démocratie dans notre pays. 
 
En admettant l'affirmation de l'article 1 desdites décisions, que se passera-t-il au cas où les élections locales et législatives se verront organisées par la même CENA comme ce pourrait être le cas en 2023? Autrement dit, qu'elle institution entre la Cour Constitutionnelle et la Cour Suprême sera chargée de connaître des contentieux portant sur la désignation et l'installation des membres de la CENA ?
 
 Notre pays connaîtra en 2023 si les dispositions constitutionnelles en ce qui concerne la durée des différents mandats électifs ne sont pas modifiées, une situation où les élections locales et celles législatives seront normalement organisées dans la même période et donc par la même CENA. En admettant les motivations de la Cour Constitutionnelle par rapport à sa décision, si une crise comme celle que nous avons vécue survenait dans les mêmes conditions, quelle institution entre la Cour Constitutionnelle et la Cour Suprême serait-elle compétente à en connaître ? Voilà que la Constitution n'a pas prévu le cas de session conjointe entre les deux Cours pour les questions électorales. Ou bien, y aura-t-il deux (02) CENA ? Donc une pour les municipales et communales et la seconde pour les législatives pendant la même période ? Ou encore, y a-t-il une préséance entre la Cour Constitutionnelle et la Cour Suprême qui permettra à l'une d'entre elles de connaître en ce moment, de ce genre de contentieux ? C'est en ces situations qui risquent de venir, que cette jurisprudence qui a été créée peut se révéler très dangereuse et par la même occasion constituer un précédent juridique grave à notre système démocratique.
 
 
Conclusion
 
 Il y a par conséquent lieu, au regard de tout ce qui précède et de la possible complexité variable des futures velléités juridiques liées à ces questions, de craindre que ces précédents juridiques ne créent des situations graves et attentatoires à l'ordre et à la logique constitutionnelle établie par la Constitution du 11 décembre 1990 et les lois de la République.
 Il s'avère impérieux à mon avis que lors de la prochaine révision de la Constitution, ces questions soient passées au peigne fin, et que des dispositions pratiques et précises soient prises en vue de prévenir toutes situations malencontreuses. Il y va de la préservation de la paix et de la justice fondée sur le droit et non sur des considérations politiciennes.
 C'est mon analyse.
                                                      Richard A. F. DEGBEKO
                                                        Consultant en Développement,
                                      Analyste Politique.   

                                            Tél : (229) 95 40 73 88

 
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