L'inévitable grand retour de 1988
L'histoire est têtue, et s'entête toujours : l'année 1988 au Bénin. L'année 1988 au Bénin est inévitablement de retour ; cette fois-ci plus complexe. Qui l'eut cru ? Dans le respect de ses principes, l'histoire se réédite déjà politiquement, socialement et économiquement, exactement 20 ans après, dans notre pays. Que plus personne n'en doute ! Nous vivons déjà 1988 depuis des mois. Le Bénin est en douleur ; la douleur de l'accouchement. Bientôt, le Bénin enfantera, une fois encore, à la grande surprise de l'opinion nationale et internationale, un nouvel enfant. Mais quel enfant ?
La situation de crise que nous avons connue en 1988 et qui s'est étendue sur 1989 touchait en même temps les domaines social, politique, institutionnelle, économique et éducatif ; toutes choses que nous vivons encore aujourd'hui.
En effet, il est un secret de polichinelle pour tous les béninois et pour les observateurs extérieurs que le Bénin s'enlise depuis des mois dans des séries de crises enchevêtrées les unes aux autres qui inquiètent.
De la crise sociale
Nous sommes effet aujourd'hui dans un contexte social semblable à celui de 1988. La fronde sociale a atteint tous les secteurs vitaux comme la santé, la justice et l'éducation dans notre pays. Sans service minimum, les travailleurs du secteur de la santé vont en grèves ; des grèves reconductibles qui parfois deviennent illimitées. C'est la paralysie totale dans le secteur, exacerbée par le mutisme du Gouvernement, condamnant ainsi à un péril certain, les pauvres populations. L'exemple des conséquences enregistrées lors des grèves des techniciens de laboratoire au Centre Hospitalier Départemental de l'Ouémé est plus qu'illustratif. La même situation s'observe au Centre National Hospitalier Universitaire - Hubert Koutoukou MAGA de Cotonou du fait des grèves sans que le Gouvernement ne soit capable d'y apporter une solution durable. Et dans le silence, les usagers de ces services vitaux sont sacrifiés sur l'autel de la passivité de ceux qui devraient réagir au plus tôt. D'ailleurs rien ne pointe à l'horizon qui puisse permettre de présager d'un dénouement heureux et durable.
Dans le domaine de la justice, la crise est très aiguë. Pour la première fois dans l'histoire judiciaire du Bénin, les magistrats habituellement voués à la tâche sans la moindre contestation syndicale, sont allés en grèves, il y a quelques mois. Après les magistrats, c'est au tour des greffiers qui sont depuis près de deux mois dans une nouvelle série de grèves, bloquant de ce fait la tenue des audiences au grand dam des justiciables. Personne ne sait à ce jour, ce que réservent à nouveau les magistrats dans les prochains mois.
Du côté du secteur de l'éducation, tout le monde sait de quelle manière on a pu éviter l'année blanche pour sauver l'année académique 2007-2008. Et déjà, la récidive pointe à l'horizon. Les enseignants, si cela pouvait s'expliquer qu'ils aillent en grève pendant les vacances, l'auraient déjà fait. La plupart d'entre eux brûle déjà d'envie que les classes recommencent afin qu'elle entre dans la danse.
Le comble, c'est la généralisation de la fronde à tous les secteurs de la vie nationale. Ainsi, on peut constater que toutes les centrales syndicales sont mobilisées pour arpenter les rues à travers notamment des marches de protestation, des sit-in et des grèves perlées comme ce fut le cas en 1988 et 1989.
De la crise économique
Le Bénin est dans une crise économique sans précédent, alambiquée par une autre qui touche gravement les boyaux du peuple aujourd'hui fortement condamné à être affamé s'il ne peut avoir les moyens de se nourrir en se basant sur le revenu moyen toujours très maigre. La crise alimentaire est en effet nourrie de la hausse vertigineuse des prix des produits de premières nécessités dont la consommation est devenue pratiquement un luxe de nos jours. Même si on se plait à dire que la hausse des prix des produits de premières nécessités est du fait de la hausse des prix des produits pétroliers et qu'elle tire sa source de l'extérieur, on peut aussi aisément conclure que de manière analogue, la crise économique de 1988-1989 avait aussi atteint plusieurs autres pays africains.
Les signaux de la crise sont forts et identiques à ceux de 1988: la galère sévit dans tous les foyers ; les repas sont réduits à presque un par jour ; la mévente s'est installée dans tous nos marchés ; le désespoir s'affiche sur les visages ; la crise énergétique est ambiante ; tous les produits de grande consommation et plus particulièrement ceux localement fabriqués coûtent excessivement chers ; le pouvoir d'achat des populations, cependant déjà très amenuisé, a totalement chuté ; et en pespective, on décrypte des signes précurseurs d'éventuelles difficultés d'ailleurs imminentes dans le paiement des salaires aux fonctionnaires de l'Etat, ce qui sera la conséquence des exigences du coût de la vie et du nombre des agents permanents de l'Etat, etc.
Il n'est pas inutile de rappeler que, dans une dynamique hâtive d'émergence, le pouvoir en place a fait recruter sans études prospectives conséquentes et soutenues, des milliers d'agents permanents de l'Etat en moins de trois ans de gestion. Aussi, par un projet de loi qui a été voté à l'Assemblée Nationale, le même Gouvernement a fait proroger de 05 ans l'âge de départ à la retraite des agents permanents de l'Etat sans penser à l'économie des salaires que l'Etat pouvait réaliser si à la place de ces « vieux » de la fonction publique, on recrutait des jeunes plus vifs, dynamiques et plus empreints des nouvelles avancées technologiques. Aujourd'hui, par de ces initiatives prises à la volée, l'Autorité Exécutive du Bénin plongé dans un cercle vicieux dans lequel il lui sera difficile de sortir et qui l'amènera s'est inévitablement dans les prochains mois à la cessation de paiement des salaires si des mesures très exceptionnelles ne sont prises, d'urgence. D'ailleurs, le Chef de l'Etat n'a-t-il pas officiellement dit lors du Forum sur la vie chère que nous devons nous considérer comme un pays en guerre dont les munitions sont terminées ?
A analyser de près, si compte tenu de la vie chère et pour apaiser les travailleurs, le Gouvernement augmente les salaires conformément au niveau du coût de la vie, la masse des salaires va croître dans la même proportion, générant de ce fait un accroissement important des charges salariales mensuelles, pendant que les recettes de l'Etat vont diminuer du fait de la régression des activités économiques de manière générale. Il va s'en suivre que le Gouvernement ne puisse plus disposer régulièrement des moyens financiers capables de l'aider à faire face mensuellement et à bonne date aux salaires et aux autres dépenses de l'Etat indispensables à l'avènement d'un Bénin émergent, à la fois. Ce qui relancera, à coup sûr, les travailleurs dans la rue.
Si le Gouvernement optait par contre de rester insensible aux exigences de la vie chère en refusant d'augmenter les salaires dans une proportion conséquente, les travailleurs déjà mobilisés au sein des centrales syndicales poursuivront la fronde. Cette situation motive à se convaincre de ce que la crise que le Bénin a connue en 1988 est aujourd'hui inévitable, 20 ans après ; même si elle peut être adoucie en fonction de la manière dont elle aura été gérée.
De la crise politico-institutionnelle
Celle qui suscite beaucoup de débats, de critiques, d'analyses et d'intérêt depuis quelques mois, c'est la crise politico-institutionnelle dans le pays. Elle suscite autant d'intérêt parce qu'elle s'annonce plus complexe que celle de 1988. Ceci est dû qu'à la différence du contexte politique et institutionnel de 1988, le Bénin dispose actuellement d'Institutions constitutionnelles et légales dont les fondements et les fonctionnements sont régies par la Constitution du 11 décembre 1990 et les lois de la République.
La situation politique, actuellement au Bénin est délétère. Les violations tous azimuts de la Constitution et des lois de la République par le Gouvernement chargé de les garantir ; la crise entre le Gouvernement et la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication ; des décisions de la Cour Constitutionnelle qui, bien que s'imposant à tous, paraissent aux yeux de l'opinion, relever du miracle et ne donnent plus de crédibilité à cette Haute juridiction auprès des populations ; un climat de fortes suspicions et de soupçons envers la Cour Suprême dans le cadre des décisions qu'elle rend ; la crise ambiante et aiguë à l'Assemblée Nationale alimentée par des coups de poing entre Députés lors de la Conférence des Présidents, et de la musique (le kaka) en pleines plénières. A tout cela, vient se sustenter, la méfiance qui s'est installée entre le Chef de l'Etat et les grands acteurs de la vie politique nationale.
Outre ces faits, on peut citer d'autres et pas des moindres, sans que la liste ne soit limitative. Il s'agit par exemple de la transformation de la presse nationale, du moins d'un important nombre de media n'ayant pas pu résister à la tentation de l'argent politique au détriment du devoir d'informer, en presse du pouvoir ; et la nomination des Délégués militaires qu'on peut essayer assimiler aux CDR de l'ère de la révolution populaire du Bénin.
Toutes ces situations ressemblent à celles qui se sont produites au Bénin en 1988-1989 et qui ont conduit le peuple souverain Béninois à une nouvelle ère politique à partir de 1990. On ne peut plus se tromper là-dessus !
En somme, il se développe actuellement une remise en cause totale des institutions de la République, ou par leurs acteurs eux-mêmes, ou par le peuple qui doit leur faire foi ; la détérioration totale de la crédibilité des acteurs politiques qui animent lesdites institutions ; et, les actions pour corroborer cette putréfaction s'annoncent tous les jours que Dieu fait pour renforcer la situation déjà très critique. Chacun y participe sans le savoir, impuissant et désespéré. Il ne faut pas se leurrer, ce qui se passe n'est que la résultante d'un plan naturel et spirituel qui conduira sous peu à la naissance d'un nouvel enfant au Bénin.
A suivre pour l'identité du nouveau né.
C'est mon analyse.
Richard A. F. DEGBEKO
Consultant en Economie de développement,
Analyste Politique.
Tél : (229) 95 40 73 88