« Aucune hypocrisie ne peut nous amener à taire notre ambition »
Honorables invités,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Souvenez-vous, chers amis, de l'enthousiasme populaire qui avait accueilli les conclusions de la Conférence nationale que nous avions organisée en février 1990.
Souvenez-vous du soulagement et de la satisfaction des populations à l'annonce des résultats des élections présidentielles et de leur acceptation par le concurrent du candidat élu en 2006.
Souvenez-vous de l'immense espoir suscité par la promesse de changer, en bien espérions-nous, la conduite des affaires publiques pour la réalisation du rêve que nous avions cristallisé à l'article 9 de notre Constitution en y affirmant que « Tout être humain a droit au développement et au plein épanouissement de sa personne dans ses dimensions matérielle, temporelle, intellectuelle et spirituelle, pourvu qu'il ne viole pas les droits d'autrui ni n'enfreigne l'ordre constitutionnel et les bonnes mœurs »
Souvenez-vous des nombreuses initiatives que nous avions prises pour soutenir l'action du Chef de l'Etat afin de lui permettre de bénéficier de l'intelligence de toutes les Béninoises et de tous les Béninois ainsi que de leur disponibilité à l'aider dans l'accomplissement de ses responsabilités.
Parce que nous nous sentons bâtisseurs du présent, nous savions, à travers notre hymne national, que nous serions plus forts dans l'unité chaque jour à la tâche.
Ce fut le motif de la mobilisation de tout notre peuple, debout.
C'est aujourd'hui, hélas, la raison de notre grande déception, de notre inquiétude pour l'avenir de notre pays dans ce monde en pleine mutation.
C'est également la raison du sursaut qui nous a conduits ce jour, vendredi 28 novembre 2008, dans cette salle. Comme nous en avons convenu, nous passerons deux jours ensemble, certainement pour mieux nous connaître mais sûrement pour cultiver notre aptitude à travailler ensemble, partager nos expériences et nos propositions pour un Bénin apaisé comme nous l'aimons.
Par le passé, il nous était arrivé de livrer des combats électoraux féroces. Mais nous avions toujours su nous en tenir à l'essentiel. Nous avions toujours réussi à déjouer les plus sombres pronostics et à maintenir un climat de paix. S'il nous est possible de nous retrouver aujourd'hui, c'est parce que hier nous n'avions pas franchi le pas de la violence et que l'intolérance n'a jamais guidé nos actions.
C'est à continuer dans ce sens que nous voulons nous engager. Déjà, les travaux préparatoires à cette rencontre ont fait tomber de solides murs d'incompréhension. Ils ont ouvert de nouveaux horizons dans nos relations. Nous savons maintenant que l'accord sur ce qui ne va pas n'emporte pas automatiquement un accord sur ce qu'il faut faire. Il est à souhaiter qu'à la fin de nos travaux nous puissions dégager pour notre peuple des perspectives qui lui permette d'espérer.
L'actualité internationale a fait souffler sur le monde entier un vent d'optimisme au moment même où des crises alimentaires, énergétiques et financières assombrissaient l'horizon. « Oui, nous pouvons » est devenu le slogan de ceux qui plongeaient dans le désespoir. Il faudrait cependant le vouloir et s'en donner les moyens. N'est-ce pas l'une des raisons de notre présence ici ?
Le chemin à parcourir sera long et plein d'embûches. Nous venons d'apprendre que depuis plus de 200 ans, l'élection du président des Etats-Unis a lieu un jour fixe, « le mardi suivant le premier lundi de novembre de la quatrième année suivant l'élection présidentielle ». Cela a été encore le cas cette année. Et voilà que pendant ce temps, nous, nous ne savons pas encore si la nôtre aura lieu en 2011 et à quelle date. Dans ce grand et puissant pays, depuis 1933, le président élu prend fonction le 20 janvier à midi. Ce sera le cas encore cette fois-ci. Nous autres, nous ne connaissons pas encore la date de l'élection des maires et leur prise de fonction à la suite d'élections que nous avons organisées il y a plus de sept mois.
Aussi devons-nous nous interroger pour identifier ce qui nous empêche de réfléchir et d'agir comme les autres.
Il y a quelques années, l'un des pays de notre sous-région était comparé à la Suisse. On parlait de miracle au sujet de la forte croissance d'un autre. Dans ces pays, leurs dirigeants avaient construit des routes, des échangeurs, des aéroports, des salles de classe, des centres de santé. Des investisseurs étrangers se précipitaient dans ces contrées enviées par nous tous.
Mais pour n'avoir pas régler la question politique, ces pays se sont retrouvés dans de grandes difficultés. Tout ce qui avait était réalisé a été laissé à l'abandon. Les aéroports sont devenus déserts. Faute de clients, les hôtels ont été livrés aux chauves souris et se sont dégradés. Les routes ont été défoncées et des ponts ont été emportés par les inondations. Pire, la société s'est disloquée et des conflits internes plus ou moins violents ont amené les investisseurs à fuir pour s'installer dans des endroits plus sereins ou des bailleurs de fonds à suspendre leur coopération. Aujourd'hui, les nouveaux dirigeants de ces pays sont obligés de recommencer et de rebâtir.
C'est donc la question politique qui doit être au centre de nos travaux si nous voulons assurer le développement durable de notre pays. Tous ceux qui aiment notre peuple et désirent sincèrement l'aider à vaincre la pauvreté doivent donc se préoccuper également de la question politique, de la gouvernance politique et non pas continuer à nous égarer sur des routes qu'eux-mêmes n'ont jamais empruntées.
Nous venons de vivre aux Etats Unis une campagne électorale où des candidats ont présenté pendant deux ans leur programme à leurs concitoyens et au monde entier. Tous membres de partis politiques et intervenant dans le cadre de leur parti politique, ils ont offert à leurs électeurs des choix qui ont déterminé les votes. Nous ne retrouvons dans aucun pays développé les modèles apolitiques qui nous sont proposés et que nous chérissons. Voilà pourquoi, nous, responsables politiques devons nous armer pour assumer nos responsabilités en tant qu'animateurs principaux de la vie publique.
Chers amis,
Aussi grand que soit notre désir de ne point nous noyer dans la critique du présent, il parait difficile d'ouvrir de nouvelles pistes sans évaluer le chemin parcouru. La tâche nous est facilitée par l'opinion unanime sur le blocage auquel nous a conduit la pratique politique mise en œuvre depuis 2006. Le Chef de l'Etat et son gouvernement en ont pris la mesure en convoquant des journées nationales d'échanges et de dialogue politique. Ils ont enfin compris que leur marche à pas forcés ne peut susciter l'adhésion et l'enthousiasme populaires sans lesquels aucun développement n'est possible.
Il est incontestable que la cause première de nos difficultés actuelles se trouve dans la pratique politique du régime dit du Changement, dans sa philosophie politique et dans son style de gouvernement. Nous connaissons ses théoriciens qui avaient envahi notre pays dès la prise de pouvoir du Chef de l'Etat. L'un de leur poète invitait, souvenez-vous, le peuple à venir « contempler le cadavre livide de la vieille classe politique ». Leur conception de l'action publique vantait les liens qui reliaient directement le peuple à son chef charismatique. Elle recommandait l'affaiblissement et l'élimination des autres acteurs de la vie publique, présentait les institutions de contre pouvoir comme des freins à l'action bienfaisante du Chef, seul en mesure de comprendre et de satisfaire les aspirations du peuple.
C'est la raison pour laquelle ses tenants ne considèrent que les apparences de la démocratie et rejettent l'expression de la souveraineté du peuple à travers ses représentants. C'est cela l'origine de la crise à l'Assemblée nationale. C'est cela l'explication des conflits avec la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication. C'est aussi la raison de la confiscation des compétences des communes par le pouvoir exécutif.
Ce lien direct du Chef avec le peuple conduit à organiser de grands rassemblements, sans aucune préparation, dont la finalité est de servir de couverture aux décisions déjà prises. De telles manifestations présentent les apparences d'un dialogue démocratique alors qu'en réalité elles sont destinées à entériner le contenu du monologue présidentiel à leurs séances d'ouverture et de clôture. Ces feintes et ces esquives des principes démocratiques alimentent un vacarme médiatique qui s'efforce de valoriser la forme par rapport au fond des problèmes qui se posent à notre société et qui magnifie l'annonce des actions par rapport à leurs résultats concrets.
Cette même démarche conduit à ne pas rechercher les suggestions et les propositions qui viennent des députés. Tout se conçoit au gouvernement ; tout se décide au gouvernement ; tout s'approuve au gouvernement. En deux années, le gouvernement n'a jamais sollicité l'avis de l'Assemblée nationale dans la conduite des indispensables réformes dont notre pays a besoin. Ce qui est la norme dans les pays de démocratie avancée n'est même pas l'exception chez nous. Aucun des nombreux états généraux organisés sur la santé, l'éducation, l'agriculture, la sécurité n'a fait l'objet d'une loi dont la discussion aurait bénéficié des contributions des députés, du soutien des média et de l'intérêt de la population.
Comment s'étonner dans ces conditions que, depuis 2006, le Chef de l'Etat exécute un budget différent de celui voté par l'Assemblée nationale et ne reconnaît à celle-ci que le devoir d'approuver les dépenses déjà effectuées ? Ce faisant il prive la Représentation Nationale de l'une de ses prérogatives fondamentales. Il remplace la volonté du peuple par la sienne. C'est ce que nous dénoncions le 12 mars par le slogan NON à la dictature car le dictateur est celui qui veut que sa volonté de chaque instant devienne la loi de la République.
Le renouvellement des budgets rectificatifs, qui ne devraient prendre en compte que les actions imprévues ou urgentes, est le signe évident d'une incapacité à prévoir et de l'improvisation comme mode de gestion du pays. Il ne reste aux députés de la législature des ratifications de crédits qu'à lever la main pour donner leur accord à chaque sollicitation. Cela n'est pas acceptable.
Etendue aux autres institutions, la stratégie d'affaiblissement des autres acteurs transfère les compétences constitutionnelles du Conseil Economique et Social à un Haut Commissariat de la gouvernance concertée, un organe administratif. Ce faisant, les représentants des syndicats, des chercheurs, des artistes, des artisans, des associations de développement, de toutes les couches socioprofessionnelles se trouvent exclus de la promotion du dialogue social. C'était pourtant eux qui avaient conduit la popularisation de nos souhaits consignés dans les documents de perspectives à long terme Bénin 2025.
C'est la même stratégie qui conduit le gouvernement à annoncer les mesures sociales hors du cadre des négociations paritaires afin de décrédibiliser les dirigeants syndicaux et l'action syndicale. C'est encore elle qui fait détruire et reconstruire des salles de classe, recharger des rues dans les quartiers, creuser des puits, ériger des villas, disséminer des stations d'essence sans s'en référer aux conseils communaux dans le but d'affaiblir et de décrédibiliser les Maires.
Cette stratégie n'épargne guère l'administration. Chacun sait que la définition des attributions d'un ministère et des relations entre les services prend au moins une année. Modifier souvent la structure du gouvernement, c'est placer l'administration dans l'impossibilité de fonctionner, la déstabiliser, l'affaiblir afin d'obliger les ministres et les cadres, sans attributions bien définies, à se tourner chaque matin vers le Chef de l'Etat et ses conseillers pour solliciter des instructions. La recherche de bureaux, les interminables séances d'arbitrage de compétences, les commandes de papier à entête et de tampons prennent alors le pas sur l'étude des dossiers pour le plus grand malheur de notre pays.
Chers amis,
Elle est longue, la liste des manifestations de cette philosophie politique et de ce style de gouvernement qui nous conduisent, pour la première fois, à des journées nationales d'échanges et de dialogue politique. Nous aurions voulu ne pas y consacrer nos assises. Toutefois, nos commentaires seraient incomplets s'ils laissaient de côté certains aspects qui se sont incrustés dans nos mémoires.
Il en va ainsi de propos tenus durant les campagnes électorales lors des élections législatives puis des élections communales. Que la presse n'ait pas été autorisée à couvrir les évènements partout dans le pays accrédite les exhortations régionalistes et tribalistes dont certains témoins s'étaient fait l'écho. Que les déplacements et visites du Chef de l'Etat dans certaines régions continuent de ne pas bénéficier de l'abondante couverture médiatique habituelle alimente les rumeurs sur le degré de son engagement à consolider l'unité nationale. Que des pressions aient été exercées sur des candidats pour l'établissement de listes uniques lors des élections communales participe des mêmes conceptions politiques. La lecture de la carte politique issue de ces consultations confirme bien un net affaiblissement de la cohésion nationale.
Sur ce registre, chacun sait, le Chef de l'Etat en premier, compte tenu de ses responsabilités antérieures, que nul ne peut engager un investissement important sans élaborer un dossier économique, technique et financier. L'aéroport de Parakou mobilise des ressources supérieures à tous les investissements prévus en 2009 pour la santé sur l'ensemble du territoire national. Décider de le construire par une procédure d'urgence, c'est rechercher et souhaiter l'opposition de tous ceux qui plaident pour la bonne gouvernance financière et luttent contre la corruption. Or d'expérience nous savons que lorsque des cadres avertis posent des actes inconséquents, il faut toujours rechercher leurs vraies motivations.
Dans le cas d'espèce, le but évident est d'opposer les communautés entre elles : celles qui ne parviennent pas à sortir leurs productions de leurs champs, faute de pistes, à celles qui espèrent une impulsion de leur développement ou un relèvement de leur prestige. Il s'agit de présenter tous ceux qui émettent de légitimes objections comme des traîtres ou des ennemis de certains groupes sociaux. Il s'agit d'abandonner le programme de desserte de chaque chef lieu de commune par une route bitumée pour affecter les ressources à une action électoraliste. Il s'agit d'affaiblir la cohésion nationale et de souffler sur les braises de la division en attendant les flammes en cas de besoin.
Oui, notre cohésion nationale est mise à mal. Ce qui était une maladie honteuse est devenu un élément de promotion. Mobiliser sa communauté pour remercier le Chef de l'Etat d'avoir jeté un regard miséricordieux sur un groupe ethnique en élevant un de ses fils à la dignité de ministre occupe nos écrans de télévision publique. Constituer des associations ethniques ou des groupes de pression valorise leurs promoteurs.
Chers amis,
Permettez-moi de ne pas prolonger ces commentaires qui ne s'adressent pas aux autres mais à nous-mêmes. Notre rencontre n'a pas pour finalité d'adresser des critiques aux autres. Elle n'aurait aucun sens si elle ne dégageait pas ce que nous ne voulons pas faire et ce que nous voulons faire. Elle doit constituer une étape dans la conception d'un programme d'actions pour le redressement économique et social de notre pays et surtout pour le renforcement de sa cohésion sociale.
Nous savons que cet objectif ne peut être atteint sans une juste répartition des richesses entre nos compatriotes, entre nos régions. Il ne peut l'être si la lutte contre la corruption disparaît même dans les simples discours depuis que beaucoup en ont découvert les filons et les charmes. Les marchés passés en urgence et les ordres de paiement constituent des gisements inépuisables. Les cuillères à café ont été remplacées par des louches avec le regret que Dieu n'ait pas créé une troisième main.
Nous ne pourrions pas y arriver sans les femmes et les jeunes. Avons-nous déjà une politique alternative au gaspillage actuelle ? Sommes-nous prêts à sortir des annonces de gratuité pour réaliser effectivement les gratuités ? Pouvons-nous achever tout ce qui a été entrepris et laisser à l'abandon ? Où trouver les sommes déjà promises à chaque sortie du Chef de l'Etat ? Comment voulons-nous organiser le partage du pouvoir entre tous les acteurs de la vie publique ?
Aucune hypocrisie ne peut nous amener à taire notre ambition de conquérir et d'exercer le pouvoir. Cela ne suffit pas. Pour éviter les erreurs du passé, nous ne devons pas attendre d'y arriver avant de dire ce que nous allons réaliser et comment le réaliser. Les Américains viennent de nous donner un exemple. Il est heureux que nous ayons convenus de rechercher le pouvoir comme un moyen pour sortir nos populations de la misère, pour relancer les ventes dans les marchés, pour baisser les prix des denrées alimentaires en produisant plus, pour offrir les mêmes chances de réussite dans la vie aux fils du pauvre et du riche, pour ramener l'espoir dans le mental de notre jeunesse, pour participer à la construction d'une Afrique forte, digne et respectée.
Il en va ainsi de la démocratie dont nous voudrions revisiter les exigences. Elle ne peut vivre avec des acteurs affaiblis. Nos échanges avec des amis qui évoluent dans d'autres contextes nous aideront à renforcer le front de tous ceux qui savent que la liberté est la principale source du progrès.
Chers amis,
Comme moi, vous avez entendu les supplications des populations :
Restez ensemble ;
Renforcer votre cohésion ;
Ne vous diviser plus ;
Cessez les combats et les querelles entre vous ;
Occupez-vous de nous ;
Notre première réponse a été de retourner dans l'hémicycle, ce haut lieu de la démocratie, pour y rapporter le symbole de l'unité que chaque député regarde lorsqu'il s'adresse au Président de l'Assemblée Nationale : la jarre trouée que nous voudrions boucher de nos doigts. C'est le symbole du séminaire. C'est notre thème central : l'Union fait la Nation.
Nous savons, d'expérience, que la conquête du pouvoir suppose une bonne organisation. Nous savons moins que son exercice appelle une plus forte organisation dont il est préférable de fabriquer les instruments avant d'accéder au pouvoir. Le Parti Dahoméen de l'Unité en 1962, le Parti Démocratique Dahoméen en 1964, l'Union pour le Renouveau du Dahomey en 1969, le Parti de la Révolution Populaire du Bénin en 1975, la Renaissance du Bénin en 1992, les Forces Cauris pour un Bénin Emergent en 2008 ont connu ou connaissent les limites et le devenir des organisations politiques crées après l'ascension de leurs promoteurs au pouvoir. Nous sommes riches de toutes ces expériences et avons en notre sein d'éminents acteurs de ces initiatives.
Mieux que tout autres, nous sommes en mesure de faire le bilan pour rompre avec les pratiques qui laissent notre pays dans un état de délabrement politique préjudiciable à sa stabilité et à sa cohésion.
Ce rassemblement impressionne ;
Ce rassemblement inquiète ;
Ce rassemblement rassure.
Ne nous décevez pas, tel est le défi que le peuple nous lance.
Quelle sera alors notre réponse ?